C’est ainsi que Stromae se met dans la peau d’un client impoli (voire, franchement exécrable) dans son titre « Santé ». Il rend hommage aux métiers de l’ombre, et surtout aux personnes qui les exercent, celles qui font face à l’impolitesse, au manque de respect et à la discrimination au quotidien. Dans cette chanson, le chanteur lève son verre « à ceux qui n’en ont pas ». Parmi les couplets de ce très bel hommage, il en est un qui a particulièrement retenu mon attention :
« Quoi, les bonnes manières ?
Pourquoi je ferais semblant ? De toute façon, elle est payée pour le faire !
Tu te prends pour ma mère ? Dans une heure, je reviens, que ce soit propre, qu’on puisse y manger par terre!
Trois heures que j’attends ! Franchement, ils les fabriquent ou quoi ?! Heureusement que c’est que deux verres !
Appelle-moi ton responsable, et fais vite ! Elle pourrait se finir comme ça ta carrière ! »
Un discours violent, presque irréel tellement il est irrespectueux. Cependant, il s’agit d’un discours que chacun.e d’entre nous a déjà entendu. Nous avons déjà entendu ce client, sa longue tirade de plaintes et son ton humiliant. Dans la peau de cet individu, Stromae s’adresse à une femme. Et cela n’a rien d’anodin.
Celles et ceux qui exercent des métiers de service sont confrontées à des reproches et des humiliations de la part de client.e.s qui se « croient tous permis ». Les femmes et personnes perçues comme telles n’échappent pas à cette règle. Immense majorité des travailleur.euses des métiers du care, majoritaires également en tant que travailleuses employées, (serveuses, hôtesses, secrétaires, etc. En 2019, 41% de femmes en emploi exerçaient sous le statut d’employée. Source : INSEE), leur précarité se caractérise bien sûr par leur salaire, mais aussi par cette dimension relationnelle abusive, au sein de laquelle elles risquent d’être confrontées à ces comportements injurieux, irrespectueux, infantilisants… et sexistes. Entre mansplaining*, manterrupting*, agressions ou harcèlement sexuels et remarques désobligeantes, l’impolitesse du client mécontent se pare de commentaires misogynes.
Si par malheur, on leur en fait la remarque, la réponse est toute trouvée, et Stromae l’a bien compris : « de toute façon, elle est payée pour le faire ! »
Le projet de Lady Féministe a été poussé, entre autres, par ce genre de réalité.
Le vivre-ensemble n’est rien s’il n’inclut pas une société déconstruite, qui se défait de ses comportements sexistes, racistes, validistes, homophobes, et plus généralement, de ses comportements oppresseurs. Même la petite blague de comptoir (oh, ça va, on peut plus rien dire !) a du mal à passer. J’ai conscience que mon discours appellera sans doute les pourfendeur.euses de la prétendue « bien-pensance* », mais j’essaierai, jusqu’au bout, d’assumer cette position.
De la « petite blague » sexiste/raciste/homophobe, à la main qui « dérape » sans consentement, en passant par les commentaires déplacés, même lorsque ceux-ci paraissent bienveillants (sexisme, fétichisation, opinions délivrées allègrement sur le physique de quelqu’un qui ne l’a pas réclamée…).
Si vous ne voyez pas de problème, alors vous faites partie du problème.
Cette règle est applicable dans tous les contextes, y compris le contexte professionnel.
Serveuses, hôtesses, secrétaires, femmes de ménage, etc, exercent des métiers de service, mais ne sont pas à votre service, justement. Le système d’emploi inégalitaire pèse déjà bien lourd sur leurs épaules.
Ne leur imposez pas un autre fardeau.
Le savoir-vivre passe avant tout par considérer quelqu’un à la même hauteur que soi.
Ce discours paraît bien utopique dans notre société de privilèges et de domination.
L’inclusion et le respect doivent prendre le dessus. Partout, et tout le temps. Sans pour autant avoir peur de déconstruire, de questionner.
Faisons de nos codes sociaux des outils politiques. Utilisons-les pour offrir un modèle de société plus juste. Faisons-les vivre, évoluer, changer, à l’image de cette même société.
Pour adopter, éloigner, aimer, critiquer, transgresser ou adapter les codes, il est impératif de les connaître. Pour les connaître, il est impératif de les (re) construire.
* Mansplaining : Le mansplaining (de l’anglais « man », homme, et « explaining », explication) est un concept féministe né dans les années 2010 qui désigne une situation dans laquelle un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, souvent sur un ton paternaliste ou condescendant (Wikipédia).
* Manterrupting : Le manterrupting (fusion des mots anglais man et interrupting, traduit en français par hommeterruption ou mecterruption) est un néologisme féministe américain qui désigne le comportement consistant, pour un homme, à couper la parole à une femme lors de discussions ou de débats en raison du genre de son interlocutrice (Wikipédia).
* Bien-pensance : Bien-pensance est une expression langagière utilisée par des auteurs ou groupes de personnes francophones pour désigner l’opinion et le comportement des personnes dites bien-pensantes, « dont les idées sont conformistes » et soumises au politiquement correct (Wikipédia).
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